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LA TOXICITÉ DE LA PORCELLE ENRACINÉE


LA TOXICITÉ DE LA PORCELLE ENRACINÉE.
Le pissenlit qui fait tomber les chevaux.











Porcelle enracinée (en deux temps!)

Les beaux jours reviennent. Ce joli printemps précoce nous permet enfin de monter nos chevaux sans nous engoncer sous trois couches de pulls. Adieu boue et frimas qui s’invitaient jusque dans nos chaussettes et bonjour terrains légers aptes à la reprise d’un travail plus régulier.

Pour nos chevaux -enfin ceux qui ont la chance de vivre une vraie vie de cheval avec le plus d’heures possibles passées au pré- c’est aussi la promesse d’une herbe vitaminée et abondante qui ne va pas tarder à déclencher sa pousse.

Or l’herbe d’avril peut contenir un ennemi silencieux, très handicapant pour nos compagnons équins et parfois mortel s’il n’est pas détecté à temps : la porcelle enracinée.

Hypochoeris radicata de son nom savant est une plante de la famille des pissenlits, une dicotylédone très résistante à la sécheresse (voir planches botaniques car elle n’est pas facile à distinguer de ses consoeurs inoffensives). C’est une vivace très commune, à fleurs jaunes perchées sur de longues tiges avec à son pied – et c’est surtout à cela qu’on la reconnait- une rosace vert foncé formée de feuilles poilues et dentelées semblables à celles du pissenlit. Originaire de grande Bretagne, la porcelle enracinée pousse partout en France hors des terrains agricoles (les traitements fréquents aux herbicides l’en chassent). On la rencontre dans les pelouses, sur les bords des routes et les pâturages. Très commune sur sols moyennement acides et sablonneux, elle fleurit classiquement de mai à septembre plusieurs fois.
 


Fleur et feuille de Porcelle enracinée.







D’instinct, les chevaux n’en mangent pas. Mais s’il existe un sur-pâturage ou une raréfaction de l’herbe à cause de la sécheresse (en fin d’été par exemple) ou encore si vous possédez un incorrigible gourmand, il arrive qu’ils en croquent de temps en temps. Or cette plante est très appètente (d’ailleurs pour les humains on peut sans danger la manger en salade), voire même addictive selon certains vétérinaires. Les gloutons qui l’ont goûtée y reviennent alors fréquemment jusqu’à l’intoxication.

Une fois ingérée par le cheval (fraîche ou dans le foin) à des doses variables selon les individus et leur sensibilité, la toxine de cette plante déclenche une altération progressive de la locomotion : le mouvement de harper.

C’est un mouvement atypique caractérisé par une hyper flexion des postérieurs. Dans les cas extrêmes, le cheval va jusqu’à se toucher le ventre avec les postérieurs, puis finit par faire des bonds de lapin, ne plus pouvoir marcher et meurt. Mais qu’on se le dise, une rémission totale est possible si le mal est détecté à temps.

Beaucoup de vétérinaires et d’ostéopathes ignorent encore l’existence de cette affection qui atteint les muscles et le système nerveux de nos compagnons et gagne du terrain en France depuis 2003, une année de canicule. De nombreux cas ont été recensés en Midi-Pyrénées, au sud de la région parisienne et dans la Loire à cette époque.

Afin de ne pas perdre un temps précieux à chercher ce qui peut bien arriver à votre cheval s’il montre des difficultés de locomotion, je vais vous raconter l’histoire de Yaico mon cheval de 8 ans qui aurait bien pu trouver la mort à cause de ce pseudo pissenlit.

Yaico est un bel entier espagnol bai, gentil et doué pour le dressage, mais c’est un incorrigible glouton. Arrivé tout droit d’Espagne où il a du manquer d’herbe bien verte étant poulain, sa passion dans la vie est : brouter. Une véritable obsession. Il ne laisse sa chance à aucune petite herbe de dépasser les autres. Rustique de nature, il a vite fait de grossir et je dois le rationner à longueur d’année sous peine de le voir se transformer en percheron.

Yaico et sa “maman” .

Alors que rien n’avait changé dans sa routine (même pré, même travail, même alimentation), à la fin du printemps dernier, Yaico a commencé à avoir des difficultés légères et intermittentes pour bouger ses postérieurs, tourner dans le box, reculer, donner ses pieds, et surtout descendre du van par l’arrière.

Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Comme tous les espagnols, il est d’une grande souplesse et compensait ses raideurs en faisant des pas de coté et quelques figures de style, peu académiques il est vrai. Etant de tempérament joueur, ces mouvements pouvaient se confondre avec quelques pas un peu brouillons dont il a l’habitude.

Au fil du temps, sur une période de trois mois environ, j’ai noté de plus en plus de positions bizarres pour se rouler ou se relever lorsqu’il se couchait. Et surtout un reculer de plus en plus étrange avec les postérieurs en flexion, comme s’il billardait des postérieurs, et de façon asymétrique. Idem lors des transitions descendantes dont le dernier pas se concluait par une flexion des postérieurs plus ou moins prononcée. Par ailleurs le cheval allait très bien et tous ces symptômes étaient plutôt espacés, ce qui fait que je ne m’affolais pas outre mesure.

J’ai fait venir une ostéopathe qui lui a diagnostiqué une sciatique, puis deux… ! Malgré le repos, les massages, la rééducation, l’argent dépensé et l’inquiétude croissante, aucune amélioration. Un jour, à l’attache, en voulant reculer, il est même tombé de tout son long car les antérieurs reculaient mais les postérieurs restaient cloués au sol. Je l’ai aidé à se relever, il était sonné, surpris de ce qui lui arrivait, mais n’avait pas l’air de souffrir. En effet, la maladie n’est pas douloureuse, ce qui la rend encore plus difficile à détecter !

C’est un second ostéopathe qui m’a mise sur la voie. Après la description des symptômes au téléphone, il évoque d’emblée la porcelle enracinée. Pour ma part, le végétal est un illustre inconnu. Je lui demande quand même de venir examiner Yaico. Après une « révision » du cheval en bonne et due forme, il semble confirmer le mal. C’est la première fois que j’entends parler de cette plante alors que des récits terrifiants m’avaient été racontés sur le sénéçon, un autre ennemi redoutable et souvent mortel de nos pâtures.

Consultation vétérinaire dans la foulée. Après avoir écarté les problèmes d’accrochement de la rotule, les lombalgies, l’éparvin, les miopathies diverses et variées, le syndrome de shivering, et par acquis de conscience avoir réalisé un bilan sanguin complet, mon vétérinaire me confirme lui aussi – faute d’autres pistes- « la maladie de harper », dont il a par ailleurs tout juste entendu parler. Précisons au passage qu’aucune analyse sanguine ou autre ne permet de repérer la présence de la toxine dans l’organisme. Ce serait trop simple !

L’affection est aussi appelée « harper australien » à cause d’une épizootie de grande ampleur observée en Australie et en Nouvelle Zélande, qui a permis de décrire la maladie et de faire le lien avec la plante. Plus proche de chez nous, on a vu ces dernières années pas mal de cas dans la Sarthe.

Pour Yaico, on sortait enfin du brouillard et on tenait sans doute le diagnostic. Restait à discuter de la possible rémission et des moyens (assez faibles finalement) dont on disposait pour l’aider à guérir. Bien sûr, en me promenant dans son pré et sur ma pelouse où il aime particulièrement brouter après le travail, je remarquais un bon nombre de porcelles enracinées entièrement croquées par le goinfre ou dont les fleurs étaient consciencieusement tondues. Les fleurs étant à priori encore plus toxiques que les feuilles.

Depuis ce jour je voue une haine tenace à la moindre fleur jaune qui pointe ses étamines dans mon jardin et que j’abats sans pitié à coup de bêche. Tant pis pour la salade de pissenlits !

Une fois la maladie repérée, il s’avère que le meilleur traitement est… le temps. Enfin, si le stade de la maladie n’est pas trop avancé, car on distingue 4 stades distincts correspondant à des symptômes croissants. Pour Yaico il semblerait que l’on en était au stade 2. Evidement, la première mesure était de l’empêcher de retoucher à la moindre feuille de porcelle enracinée.

Différents méthodes ont été essayées au cours de l’histoire pour guérir le harper (c’est une maladie connue depuis l’Antiquité). Il existe même un acte chirurgical (barbare) mais possible, dont le résultat est irrégulier : parfois spectaculaire, parfois inopérant. Des injections de corticostéroïdes donnent également des résultats mitigés. Le caractère épizootique du harper a souvent été démontré et notamment chez des chevaux d’une même famille (par exemple une jument et son poulain), la sensibilité à la toxine serait-elle héréditaire ? En fait, beaucoup d’inconnues subsistent quant à cette pathologie. Les rares chercheurs qui se sont penchés sur le sujet…cherchent. Les poneys et les ânes n’y sont pas sensibles, même si on leur en donne en grande quantité. Certains chevaux non plus et ce indépendamment de la race ou du sexe. On ne sait pas pourquoi certains sujets passent au travers de l’intoxication.

Chez moi par exemple, Yaico partage ses pâtures avec un selle français absolument pas touché par cette intoxication ! Celui ci ne touche-t-il pas à la plante ou n’y est-il pas sensible ?

Après avoir fait pas mal de recherches sur internet, consulté et recoupé des témoignages, bavardé sur des forum… Je n’étais pas très rassurée quant à l’issue de l’aventure. D’autant que mon vétérinaire restait dans le flou sur l’avenir de mon cheval et notamment son avenir sportif. Seul l’ostéopathe averti était optimiste et préconisait un bon draineur hépatique pour aider à éliminer le poison de l’organisme de Yaico.

Selon l’étude vétérinaire de Pierre Collignon (la thèse la plus complète que j’ai consultée sur le sujet) conduite sur 58 chevaux atteints, le temps de rémission spontanée a varié entre 8 mois et quelques années. Certains sujets sont morts, mais 90 % des chevaux observés s’en sont sortis sans séquelles. On dit même qu’un cheval tournant actuellement en concours de dressage international s’est totalement remis de cette maladie. De quoi envisager un avenir tout à fait honorable pour Yaico !

Ce qui est certain, c’est que la rémission est lente et progressive.

Actuellement Yaico va beaucoup mieux (cela fait maintenant à peu près un an), il recule presque normalement sans harper, donne à nouveau volontiers ses pieds et fait demi tour dans son box comme une danseuse étoile à l’entraînement. Certains jours, une petite gêne peut réapparaître et il descend du van encore difficilement. Mais pour le reste, je ne remarque aucune irrégularité d’allures même lors des transitions descendantes.

Je l’ai aidé à éliminer la toxine de son organisme en lui donnant un draineur hépatique à base de plantes tous les jours pendant 6 mois. Je fais actuellement une pause pour ne pas trop le carencer. L’exercice s’est également révélé très bénéfique. Après une séance de travail, même au stade le plus critique de la maladie, il se déplaçait mieux. Les chevaux atteints doivent marcher le plus possible, c’est un facteur clé de la guérison. En plus d’aider l’organisme à éliminer, il est probable que l’exercice entretienne les connexions nerveuses et les muscles atteints. D’autant que les malades ne souffrent pas en mouvement (jusqu’au stade 3).

J’ai également adapté le travail du cheval. En main, je l’ai aidé à bouger et à se placer de telle sorte qu’il n’ait jamais à tourner serré ou se déplacer autrement qu’en avant et droit. Pas de reculer bien sûr. Certaines séances montées étaient assez périlleuses. Lors des cercles au galop notamment, où son arrière main pouvait s’affaisser tout à coup : Yaico trébuchait alors et se rattrapait du mieux possible. Nous ne sommes jamais tombés mais nous avons eu quelques frayeurs. En fin de travail les irrégularités s’atténuaient.

Au bout du compte, le plus difficile fut presque de traiter les prés. Une fois la porcelle installée, adieu à l’herbe bio. C’est le seul cas ou l’on se réjouit d’avoir des herbicides bien musclés à disposition dans nos campagnes ! Le traitement consiste à utiliser un herbicide de type Boston ou Bofix à raison de 4 litres par hectare. Si l’on est pas agriculteur soi même, il faut demander à quelq’un du secteur agricole de l’obtenir car le produit n’est pas accessible au commun des mortels. Ensuite, il faut respecter certaines conditions pour traiter : la température doit être supérieure à 8 degrés la nuit, sans pluie à venir, ni brouillard, ni vent, et le produit doit être pulvérisé avant la pousse d’avril (mi avril) ou en « sève descendante » en automne, lorsque la porcelle enracinée ne fleurit plus.

Les chevaux seront tenus éloignés de leur pré pendant au moins trois semaines.

Nous avons traité le pré de Yaico au pulvérisateur à main. A défaut de matériel agricole adapté, mon mari s’est courageusement attelé à la tâche, chaussé de bottes bien étanches, de gants et d’un masque de protection. Il a fait nombre de kilomètres à pied en pompant, pompant, tel un shadok (pour les vieux qui connaissent la série) !

Au bout d’un mois, la plante est devenue violacée, puis s’est étiolée et a disparu. Avec elle les autres trèfles, pissenlits, pâquerettes…Sans regrets.

Si les surfaces à traiter ne sont pas trop grandes ou que l’on est un adepte inconditionnel du bio (il est certain que l’usage des produits conventionnels est néfaste pour l’environnement), on peut envisager l’arrachage manuel. Il faut quand même une certaine motivation, car il convient d’enlever la totalité de la racine pivotante, la plante étant capable de se régénérer à partir de son système racinaire.

L’hiver est passé sans nouvelle trace de porcelle enracinée dans nos prés. Je guette à l’heure actuelle une repousse éventuelle de l’ennemi, sachant que les graines ne sont pas détruites par l’herbicide. L’idéal serait donc un traitement herbicide suivi d’un labour à 30 cm et d’un ensemencement avec un mélange de graminées, quasiment chaque année…Une bataille a été gagnée pour cette fois mais pas la guerre.

L’augmentation considérable de la proportion d’ Hypochoeris radicata semble liée à la sécheresse survenue en France en 2003. Les prévisions climatologiques donnent à penser que de nouveaux réchauffements vont sévir dans les années à venir, ce qui laisse prévoir une augmentation du harper australien en France. Malheureusement très peu d’études se penchent sur le problème. Un travail serait en cours à l’INRA de Nouzilly (Indre et Loire) mais je n’ai pas eu de détails sur le sujet.

Alors, en attendant de nouvelles informations, soyez vigilants, promenez vous le nez dans l’herbe des pâtures pour savoir si le risque existe.

Mais n’en oubliez pas de profitez du printemps !

 

Christine Lévêque*.

 

PS : Merci à Romain Girard (l’ostéopathe, botaniste à ses heures) pour son intuition et au docteur David Jumert pour son suivi de la santé de nos chevaux.

 

*Christine Lévêque est journaliste. Elle a dirigé pendant 12 ans le service Amérique Latine de Courrier international.


 

 

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